André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

Fils d’Albert Moulonguet, il naquit à Amiens et fit de brillantes études au lycée d’Amiens.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

Pierre Moulonguet aîné de quatre, passa toute sa jeunesse à Amiens. Au jour de l’an, il allait porter ses vœux à Jules Verne qui lui faisait présent d’un livre, malheureusement seulement broché.

 

J.-B. Duroselle écrit (en 1981) :

Pierre Moulonguet, dans sa leçon inaugurale du 8 mars 1945 pour la chaire de technique chirurgicale […] a fort bien expliqué qu’il doit sa vocation à son père : il évoque « l’intimité de ces maisons où la familiarité du métier au dedans, l’admiration et la reconnaissance au dehors, exercent sur un enfant une contrainte si étroite qu’à tout âge, de toute évidence, je savais que je serais chirurgien ». Mais au surplus, les fonctions directoriales de son père à l’école d’Amiens « assuraient pour moi, dit-il, si étroitement la pratique de la chirurgie et les obligations de l’enseignement qu’il m’était évident, de même, que je serais professeur ».

 

André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

Il commença ses études médicales à l’école de médecine d’Amiens que dirigeait son père, puis les continua à Paris et fut nommé interne des Hôpitaux de Paris en 1913, faisant partie de cette promotion dite des “ immortels ” du fait des retards imposés par la guerre.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

Appelé en 1913, il va rester sept ans sous l’uniforme. Médecin auxiliaire du 18e Bataillon de Chasseurs à pied, il est cité à l’ordre de l’armée en 1914 et en avril 1915, il est décoré de la médaille militaire à laquelle il attachait plus de prix qu’à sa rosette de la légion d’honneur.

 

[…] Pierre Moulonguet ne parlait jamais de « sa » guerre. Son plus jeune frère, Albert, avait été tué à Vauquois en 1916. Les deux frères de sa fiancée, Annette Doléris, avaient été tués à un jour d’intervalle. Tant de deuils et de souffrance observés l’avaient marqué. Sans doute l’ont-il incité à rejoindre Marc Sangnier, apôtre de la paix et de la réconciliation des hommes. Je le rencontrai dans le train au retour du Jamborée de Bierville en 1926. A peine éteints les feux scouts, nos vaines espérances allaient se disperser.

 

André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

En 1917, il épousa Annette Doléris, fille du Dr Doléris, dont il eut un fils, Claude.

 

Le Dr Doléris était un des hommes les plus intelligents que j’aie approchés, avec une mémoire prodigieuse. C’était un grand orateur, né d’une famille assez modeste de Lembeye. Il avait brillamment réussi à Paris et fut président de l’académie de Médecine en 1924. Peut-être pour sa réussite en clientèle a-t-il fait trop de politique dans les Basses Pyrénées dont il fut une fois député et longtemps conseiller général, et trop de voyages à l’étranger notamment en Argentine où il avait beaucoup d’élèves et où il acheta une importante propriété, mais c’était un homme remarquable. Il fit construire une villa à Lembeye avec un parc magnifique, importa en Béarn les maïs américains sélectionnés et installa une cave pour vins champagnisés en bas de la côte de Lembeye vers Pau. Il épousa une femme belle et intelligente de très bonne famille et eut d’elle quatre enfants : Germaine, Annette, Pierre et Jacques.

Annette était brune, très jolie et très sportive.

Les Doléris m’avaient très bien reçu à notre arrivée à Paris, et le docteur m’avait soutenu lors de mes premiers concours. La guerre éclate. Le 30 mai 1915 étant en Champagne à Moivre, j’apprends par une lettre de ma famille la mort de Pierre Doléris tué accidentellement par une grenade. Quelques jours après, de passage à Paris, je fais une visite à Mme Doléris et lui présente mes condoléances, puis lui demande :

- “ Les nouvelles de Jacques sont-elles bonnes ? ”

Elle me répond d’une voix blanche :

-     “ Ah ! vous ne saviez pas que Jacques aussi est tué. ”

C’était affreux !

 

Pierre ajouta à son nom celui de Doléris, utilisant la loi d’après-guerre qui permettait de transmettre aux gendres les noms de familles où les garçons avaient été tués.

 

Elève d’Hartmann et de Lecène, il fut rapidement nommé chirurgien des hôpitaux de Paris puis agrégé et enfin professeur. Il resta de longues années à l’hôpital Saint-Louis comme chef de service.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

Dans les deux salles en ogive démesurément longues et hautes de Saint-Louis régnait une atmosphère extraordinaire. Trois travées de lits et de brancards serrés à se toucher offraient la pathologie la plus variée. La visite de Lecène, beau comme un marbre de Michel Ange, géant au front haut, à la nuque puissante, aux yeux bleus clairs, limpides et pénétrants, aux mains fortes qui savaient se faire douces pour palper, agiles pour opérer, était éblouissement. On aurait pu dire de lui, comme Mondor de Dupuytren : son diagnostic infaillible semblait procéder de l’illumination de la mémoire ou des cheminements de l’examen méthodique. A l’avidité d’apprendre des plus jeunes répondait l’ardeur à enseigner des aînés. Le service attirait les meilleurs des chirurgiens faits ou en formation. Lecène les surnommait au gré de sa fantaisie primesautière et burlesque. Moulonguet était « le géant » ou « le Gaulois » à cause des longues moustaches tombantes d’alors, F. d’Allaine était « Descartes ». Je les ai vu évoluer entre Leibovici, « M. Thiers », Redon, « le Florentin », Gérard Marchand, « Le Greco », Cordier, « le gavroche », puis Blondin, « Jenny l’ouvrière », Funck-Bentanno, « le digitigrade », Merle d’Aubigné, « le Partisan », quelle prescience du résistant.

Tout ceux qui passaient à Saint Louis étaient marqués à jamais. Merle d’Aubigné note : « Ceux qui s’y sont rencontrés restent attachés par les liens d’une force mystérieuse. »

 

 

André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

J’avais une grande confiance en lui, ce fut lui qui m’opéra de ma hernie.

Avec sa taille de 1m. 87, c’était le plus grand des Moulonguet de sa génération.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

Pierre Moulonguet, très grand, blond de cheveux et de moustache, « sec de corps et maigre de visage », comme le héros de Cervantès, avait grande allure. Il se tenait légèrement penché en avant comme pour se porter vers son interlocuteur qu’il regardait avec des yeux ciel bleu attentifs, un sourire bienveillant ou narquois aux lèvres.

 

J.-B. Duroselle écrit (en 1981) :

Lorsque dans ma jeunesse, Pierre Moulonguet arrivait à Maisons-Laffitte dans sa 11 légère Citroën, on était frappé par l’intérêt qu’il portait à toute personne, jeune ou vieille, intellectuelle ou manuelle. […] Toute personne l’intéressait, de sa petite filleule, ma jeune sœur Marie-Thérèse, à la vieille nounou qui nous avait élevés. Mon père, beaucoup moins intellectuel que lui, mais possédant, comme son beau-frère Jean Cléry, père d’Yvonne, cette finesse, cette intuition, cette intelligence vraie qui aident à comprendre l’essentiel, était de plain-pied avec lui.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

A la mort de Lecène, en 1929, Moulonguet devient pour huit ans l’assistant de Gernez à Tenon et forme ses premiers élèves. […] De 1938 à 1942, avec l’interruption de la guerre 39-40 où il commande une A.C.A., il est chef de service à la Maison Dubois. […] En 1942, il remplace Girode à Tenon. […]

 

J.-B. Duroselle écrit (en 1981) :

Outre le fait que le grand chirurgien s’intéressait passionnément à la nature, aux procédés agricoles, aux traditions de la campagne, il estimait avoir, avec mon père, un point commun, l’artisanat. La médecine, la chirurgie, disait-il, sont des métiers d’artisans, où, parallèlement aux connaissances théoriques, chaque jour apporte un peu plus d’expérience, permet de perfectionner ses gestes, d’inventer des procédés nouveaux, de s’enquérir des procédés et inventions des autres.

 

André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

Le ménage de Pierre et Annette fut parfait, mais hélas ce bonheur dura peu. Annette qui n’avait jamais été malade commença en janvier 1929 une poussée de tuberculose pulmonaire compliquée plus tard de laryngite tuberculeuse qui guérit après pneumothorax et finit par mourir le 24 novembre 1943, après un calvaire de 14 ans.

 

Nicole Denoix parle (nov. 98) :

Tante Annette était une femme extraordinaire. Elle ne parlait jamais de sa maladie. Quand nous étions à Monpezat, pendant l’exode, nous allions tous les jours la voir à Lembeye. Elle était là, sur son lit , on lui disait :

-       « Alors tante Annette, comment ça va ? 

-       « Oui, oui, et vous les enfants, comment ça va , vous autres ? »,

et on enchaînait… Elle était formidable.

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

A 55 ans, en 1945, il devient professeur de la première Chaire Française de Technique Chirurgicale. […] Il remplacera Mondor comme professeur de clinique chirurgicale à la Salpétrière en 1955.

[…]

Sa culture était très diversifiée, servie par une aptitude à s’étonner, une fraîcheur d’esprit sur lesquels l’âge n’avait pas de prise. Il avait de très nombreux amis, le plus illustre Francis Perrin. Grand lecteur, il préférait le métro à la voiture. Il avait formé avec Wolfromm, grand lecteur, un petit cercle de lecture. Eclectique, il aimait le Cardinal de Retz et Saint-Simon, Chateaubriand et Proust, Joyce et Dostoïevski. L’histoire du Béarn était sans secret pour lui.

 

J.-B. Duroselle écrit (en 1981) :

Pierre Moulonguet sut réussir la fin de sa vie, ses vingt-cinq dernières années, aussi bien que la jeunesse et l’âge mur. Il se recréa un foyer en épousant, en 1954, Madeleine Roulot, qui non seulement lui donna deux fils, Gilles et Francis, dont il était très fier, mais aussi par son charme et son intelligence, lui rendit le bonheur. Sage par excellence, il considéra sa retraite, en 1961, comme une coupure totale. Il s’installa à Monpezat dans l’aile d’une pittoresque maison appartenant à sa sœur, face aux Pyrénées. […] Il y avait transporté sa splendide bibliothèque sauf les ouvrages de médecine, tous donnés à des instituts universitaires. Il y cultivait son jardin en expert. De nombreux parents vivaient alentour. Il suivait de près les études de ses deux jeunes fils, de plus loin, vu la distance, mais avec autant d’attention, la brillante carrière de son fils aîné. Il eut même le bonheur de voir son petit-fils Luc reçu au concours de l’internat. Aller le visiter était un immense plaisir, qu’il partageait évidemment.

 

[…]

Pour bien comprendre Pierre Moulonguet, il faut citer ce qu’il écrit de son illustre maître et ami Lecene, qui, dit-il, « m’a traité comme son fils ».

« L’homme de la rue l’intéressait autant que l’Athénien, autant que l’homme primitif… Il parlait de Dreyfus et de l’énigme de Shakespeare. Il allait du désert Autralien… à la réception qui lui avait été faite par le Royal College et par Baldwin, une courte pipe à la bouche ».

 

« L’homme, ses réactions, ses appétits, ses tics, ses attitudes : il l’embrassait d’une curiosité, d’une sympathie insatiable. Nul ne fut moins pharisien. Mais il aurait voulu toujours trouver autour de lui avidité de savoir pareille à la sienne, pareille inquiétude de comprendre ».

 

« Son inquiétude de l’homme explique le goût extrême qu’il avait du roman »… « De même source, son enthousiasme pour les Mémoires de Saint-Simon, le duc lui aussi était friand de l’homme ».

 

Ce portrait vaut pour Moulonguet autant que pour Lecène. Il y a là un extraordinaire mimétisme, ou plutôt une sympathie innée et profonde.


VERITE-CAUSTICITE

 

Jean Bauman écrit (en 1981) :

Son père avait intimé à ses fils : « Ne mentez jamais » et Lecène avait entretenu sa passion de vérité. L’autocritique publique lui était exercice habituel, surprenant parfois par les extrémités où elle portait ; en corollaire, il n’épargnait pas à ses élèves la critique devant l’opéré médusé. […] Sa disponibilité pour l’autre, si humble fût-il, était totale. Dans sa leçon inaugurale il se reconnaît ombrageux, certains jugements abrupts pouvaient le faire tenir pour tel. En fait il préservait son indépendance, se refusait aux intrigues au risque de paraître peu diplomate, affirmait sans souci de plaire son opinion, ne dédaignant pas le paradoxe. Comme Roux Berger qui l’avait préparé à l’internat, il se cabrait devant l’injustice et l’intolérance. Il s’enflammait pour la cause des faibles et des opprimés. Dreyfusard rétrospectif, il fut. Pendant l’occupation il adhéra à la défense de la France et tenait dans son service les propos les plus imprudents. Il y accueillait les réprouvés d’alors.

 

François Moulonguet parle (été 98) :

Oncle Pierre et oncle Jacques nous intimidaient lorsque nous étions enfants : ils étaient grands, ils étaient caustiques.

 

Yvon Joly :

Je me rappelle qu’oncle Pierre m'impressionnait parce qu'il me posait toujours des questions scientifiques pointues, auxquelles je ne savais pas toujours répondre...

 

François :

Pierre était doux, mais il pouvait être dur, dans son travail par exemple (référence à un livre de médecine dédicacé à Pierre M. : "au grand doux géant"). Un jour où il faisait la visite des malades, accompagné de ses élèves, une infirmière se permit de donner son avis. Il dit alors à ses élèves : "N'écoutez pas cette inculte matrone !" Il y a aussi l'histoire des concours médicaux, où beaucoup d'excellents sujets se présentaient, et il était d'usage que certains d'entre eux soient recommandés. Les candidats étaient difficiles à départager, car ils étaient tous de très bon niveau. Les jurys étaient tirés au sort, et lorsqu'ils étaient connus, les patrons de tel ou tel candidat essayaient de les recommander aux membres du jury qu'ils connaissaient. Le niveau de la compétition était si élevé qu'un 17 sur 20 suffisait à anéantir les chances d'un candidat : les "bons" avaient 19,5 ou 20. Oncle Marcel Lance recommande quelqu'un à oncle Pierre. Et oncle Pierre, sans doute anti-piston, ne s'est pas contenté de marquer son mécontentement avec un 17 qui aurait suffi à le décaniller, mais a mis 12 sur 20 au candidat ! Il était impitoyable !

Alors qu'avec nous, il a été d'une gentillesse et d'une délicatesse extraordinaire. Les histoires dans son métier dont on entendait parler nous étonnaient beaucoup parce que ça n'était pas du tout son comportement familial. Nous ne le redoutions pas du tout comme un censeur ou quelqu'un qui donne des mauvaises notes. Simplement, il nous intimidait un peu comme il intimidait un peu Yvon parce qu'il avait des questions précises, avec sa grande taille.

 

Yvon :

On en avait même parlé avec Nicolas (le fils de Jean Moulonguet). On avait peur qu'il nous pose des questions difficiles.

 

Maïté :

Moi, je n'ai pas du tout souvenir d'en avoir jamais eu peur. Il était très plaisantin, avec beaucoup d'humour...

 

Jean Moulonguet parle :

Il me disait : "Alors mon cher Jean, où en es-tu de tes fortes études ?", justement parce que je n'étais pas très brillant...

 

 

François :

Mais comme c'était la famille, il le faisait très gentiment, très souriant... Il était caustique, mais avec beaucoup d'élégance.

 

Jean :

Je me rappelle, au mariage de François Ancely, qui était très chic, les premiers discours étaient complètement foireux, et oncle Pierre s'était levé, sans papier, sans rien, et il avait fait un discours très drôle, très charmant... mais un peu méchant.

 

Henri Moulonguet  parle (été 98) :

Je ne sais pas si je vous ai raconté une histoire, qui m’a été rapportée par un collègue, qui avait été interne de oncle Pierre. Un jour, une cliente opérée par oncle Pierre est décédée, peu après, dans la nuit, de façon assez inexplicable. On a donc fait une autopsie. L’interne en question (celui qui m’a raconté l’histoire), a commencé l’autopsie, puis oncle Pierre est arrivé, il a continué, et il a vu que la patiente était morte parce qu’il avait fait une erreur chirurgicale. Il était pour quelque chose dans le décès de cette femme. Oncle Pierre s’en va. L’interne termine l’autopsie, bien décidé à ne rien dire à personne. Et lorsqu’il sort et retourne dans son service, il s’aperçoit que tout le monde était au courant, oncle Pierre avait dit à tout le monde pourquoi la femme était morte, sa responsabilité, afin que son erreur profite à tout le monde…

 


« COMMUNISME »

 

 

André Moulonguet écrit  (dans les années 68) :

Ses opinions politiques ont beaucoup oscillé : alors que son père était très conservateur et réactionnaire, Pierre flirta avec le socialisme de Léon Blum, puis devint gaulliste presque inconditionnel. Le restera-t-il ?

 

Magui parle (printemps 98) :

Dans les dîners de famille, on parlait beaucoup des idées communistes de Pierre Moulonguet, qui était parti pour la Russie, pour voir et comprendre.

 

Teuteur  parle (printemps 98) :

Il était quand même exceptionnel , oncle Pierre, par rapport aux autres de la famille, du point de vue des idées politiques. Je me souviens que lorsqu’il m’emmenait à Tenon en voiture, il me demandait : “ Que s’est-il passé à cet endroit ? ” Je ne pouvais jamais répondre. On passait par exemple devant le mur des fédérés. Il me disait : “ Quelles sont tes idées politiques ? ”, mais je n’avais aucune idée politique, et ça ne m’intéressait pas. Même la Résistance, je l’ai faite sans idée politique.

 

Jean Moulonguet parle (été 98) :

Oncle Pierre n'était pas vraiment communiste. Il était communiste par rapport à papa qui était royaliste.

 

François :

Il était généreux, certainement, socialement, oncle Pierre.

 

Francis :

Il aimait l'efficacité. Les communistes passaient pour efficaces.

 

Jean :

Tu crois qu'il avait une carte du parti ?

 

Francis :

Non. Mais je crois qu'il a trouvé que l'expérience bolchevique était intéressante, il est allé en URSS je ne sais pas quand ([1])  dans les années 20-30, il en est revenu un peu dégrisé.

 

François :

En famille, je crois que c'est une position qui était prise, chacun avait son drapeau et n'en changeait pas. Ils argumentaient gentiment, ils se trouvaient des arguments et ils s'acceptaient très bien. Mais pour eux, la politique, c'était la recherche du bien commun, pour oncle Pierre comme pour papa. Enfants en bout de table au Bouscassé, nous étions un peu impressionnés de voir s’affronter les convictions opposées ces cousins d’ordinaire courtois et souriants.

 

Jean :

Oncle Pierre, il était du point de vue des idées politiques, comme oncle Kiki, comme Teuteur, un peu moins à droite que papa et oncle André.

 

 

François:

Oncle André était croix de feu, libéral, pas résolument à droite. Papa l'était un peu plus, Kiki un peu plus à gauche, et oncle Pierre, intellectuellement à gauche.

 

Francis

Je crois que papa n'était pas du tout socialiste au sens moderne du terme, c'est-à-dire que le Front Populaire ne lui a pas plu du tout. Mais peut-être a-t-il eu des sympathies pour les communistes bolcheviques, au début, comme étant l'avenir, l'efficacité, et puis, ayant été déçu par le communisme, n'aimant pas le socialisme au sens moderne, c'est-à-dire la SFIO, De Gaulle lui a plu.


 « PETITES HISTOIRES »

 

Teuteur parle (printemps 98):

Mamette était “ la chère cousine ” de Pierre. Grand-maman me racontait que quand Pierre était petit, il avait l’accent du Nord (Amiens) et il disait à sa cousine Jeanne (Mamète) : “ Quoi faire à s’t’heure, cousine Zane ? ”

 

Magui (printemps 98):

Dès que Mamette avait quelque chose, elle allait chercher l’oncle Pierre. Et Pierre aussi, c’était sa “ chère cousine ”. Quand elle est tombée, qu’elle a été écrasée, son premier cri a été : “ Allez chercher Pierre ! Allez chercher Pierre ! ”

 

 

Madeleine Puiseux parle (oct. 98 ) :

J’ai travaillé pour Pierre Moulonguet une année, après guerre (46-47), j’étais sa secrétaire. Au départ, il m’impressionnait beaucoup, puis il s’est montré tellement gentil avec moi qu’il a réussi à me mettre en confiance.

Il me faisait venir dans la salle d’opération, il opérait quelqu’un, et il me dictait l’opération qu’il terminait. Il faisait deux choses à la fois. Alors moi je notais, je ne regardais pas trop l’opération en cours… Il était très calme et concentré.

En oncle attentionné, lui aussi voulait me marier, avec un de ses plus brillants internes.

J’avais une affection et une admiration sans borne pour lui, bien que me méfiant de ses réparties cinglantes. C’était un grand monsieur.

 

Teuteur parle (printemps 98):

Pierre  était très intéressé par l’anatomo-cyto-pathologie. Mais lorsqu’il a dû choisir sa spécialité, il n’y avait pas de poste disponible dans cette branche, et il a dû choisir la chirurgie. Mais il s’est tout le temps intéressé à l’anatomo-cyto-pathologie, a continué à la pratiquer, il était même réputé dans ce domaine puisqu’on lui envoyait des échantillons pour qu’il donne son avis.

 

Henri M. parle  (été 98):

Je ne savais pas ça, ça me paraît un peu curieux, étant donné que son père était chirurgien, il paraissait assez logique qu’il fasse le même métier. Moi, j’étais oto-rhino comme mon père était oto-rhino. Cela dit, mon fils Michel n’est pas oto-rhino.



([1]) Madeleine Moulonguet parle (oct. 98) :

Mon mari est allé en URSS vers 1920, après sa médaille d’or de l’internat.

Nicole Denoix parle (nov. 98) :

Oncle Pierre est allé en URSS lorsque Claude était en seconde. Claude est allé faire sa seconde à Amiens, chez ses grands-parents. Donc vers 1933. Il y a travaillé, ou enseigné ?